La première guerre électronique
Dans
le Tome II de son ouvrage La guerre secrète, Anthony Cave Brown nous dévoile
comment les forces alliés conçurent les premières contre-mesures radio ou
électroniques (ECM) afin de tromper les radars de l'Axe. Contre toute attente,
ces ECM n'ont pas été utilisées immédiatement, mais ont été réservées à un
projet plus ambitieux, le gigantesque programme Fortitude d'intoxication et de
désinformation quant au lieu et à la date du débarquement. Retour sur la
première guerre électronique.
Alors que la Luftwaffe d'Hermann
Göring tente de saper les défenses et infrastructures britanniques pendant la Bataille d'Angleterre, un élément déterminant viendra donner l'avantage à la Royal
Air Force (RAF) : le radar. Créé sur la base d'un brevet de Robert Watson-Watt déposé en 1935, l'Angleterre s'équipe, dès le début de la seconde guerre
mondiale, de la Chain Home, composée de 19 stations
radars. Malgré son caractère un peu primitif, elle permet alors de guider les
chasseurs, jusque-là aveugles, afin d'intercepter les bombardiers allemands. La
Luftwaffe tentera de les détruire sans réellement y parvenir.
De leur côté, les allemands
conçoivent eux-aussi leur propre système radar, plus avancé que le système
britannique. En réponse aux raids nocturne anglais de 1940, le haut
commandement allemand décide de construire la ligne Kammhuber afin de
défendre la France, la Belgique et les Pays-Bas.
Au cours des années qui suivirent,
les alliés décidèrent de mettre sur pied un gigantesque plan d'intoxication et
de désinformation afin de tromper les forces ennemis sur le lieu, la date du débarquement
en Europe, l'opération Fortitude. Elle s'intégrait dans un dispositif plus
vaste d'opérations de déception, appelé Bodyguard, aux côtés notamment des
opérations Mincemeat ou Zeppelin visant à faire croire à un débarquement en
Méditerranée.
Fortitude se décomposait en deux
branches, l'opération Quicksilver (Fortitude Nord), visant à convaincre
l'état-major allemand d'un débarquement en Norvège, et l'opération Skye
(Fortitude Sud), pour un débarquement dans le Pas-de-Calais cette fois.
Mais, revenons-en aux radars. Dans
le Tome II de son ouvrage La guerre secrète, Anthony Cave Brown raconte comment
les ingénieurs et techniciens britanniques conçurent un premier dispositif ECM
qu'ils appelèrent Window (les
américains l'appelèrent quant à eux Chaff).
Composé de bandes de feuilles métalliques lâchées par des avions en plein
vols, ce dispositif permettait alors de recréer l'effet d'un blizzard sur les
écrans radars et ainsi masquer les formations d'appareils approchant de leurs
objectifs. Fait étonnant, il s'avère que les deux forces avaient connaissance
de ce dispositif mais, ignorant d'une part, toutes les deux le posséder, et,
d'autre part, hautement dépendantes de leur système radar, elles ont décidé de ne
pas l'utiliser, afin de ne pas dévoiler le stratagème à l'autre. Les anglais
finirent tout de même par l'utiliser lors d'un raid sur Hambourg en 1943.
Les britanniques conçurent une
deuxième arme de guerre électronique que ne possédaient pas, cette fois, les
allemands. Par l'étude de Window, les
techniciens découvrirent que, sous certaines conditions, ce dispositif pouvait
créer l'illusion d'une flotte d'appareil toute entière. Forts de cette
observation, ils créèrent un nouveau système, baptisé Moonshine, permettant la réception, l'amplification, puis le
renvoie des émissions radars. Avec seulement quelques navires ou avions
équipés, ce dispositif permettait de tromper les forces ennemis en simulant le
mouvement d'une véritable flotte sur les écrans radars.
On imagine alors aisément l'avantage
pouvant être retiré de l'utilisation d'un tel système, et notamment dans le
cadre de la campagne de bombardement contre l'Allemagne, afin de délibérément
induire en erreur les chasseurs de la Luftwaffe chargés d'interceptés les
bombardiers alliés, en les attirant loin des zones visées. Après un premier
essai concluant, Moonshine fut
utilisé en 1942 afin d'éloigner les chasseurs allemands d'un raid de
forteresses volantes sur Rouen.
Cependant, Moonshine fut retiré du circuit. Perfectionné puis équipé sur
différents appareils, ce système servirait à un plus grand dessein, celui de
Fortitude Sud, en simulant l'arrivée d'une gigantesque armada entre Le Havre et
Calais, à l'aube du Jour J.
Dans son acceptation restreinte,
celle de la guerre électronique, on a tendance à faire coïncider l'avènement de
la cyberguerre avec la Révolution dans les Affaires Militaires (RMA),
dont je parle ici.
Moonshine est un instrument de brouillage
visant finalement à dégrader l'acquisition d'information nécessaire à la
reconnaissance du champ de bataille. Si, pendant la seconde guerre mondiale, on
ne pouvait très certainement pas parler au sens strict de cyberespace tel qu'on
l'entend aujourd'hui, cet épisode relaté par Anthony Cave Brown nous montre
tout de même que la cyberguerre actuelle tire quelques racines de ce conflit.
En parallèle de cette première
guerre électronique, un autre épisode de ce conflit, tout aussi passionnant,
vient aussi jeter les bases de la cyberguerre actuelle. Fait de faux semblants, de
simulacres et de trahisons, le SOE et le SD se sont livrés à un jeu des plus
dangereux et des plus opaques : le jeu de la radio. A retrouver sur BlitzKlik ici.
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