Dans un précédent article, la
première guerre électronique, je relatais comment Anthony Cave Brown dévoilait
les plans des Alliés afin de tromper les radars de l'Axe. Toujours dans le Tome
II de son ouvrage La
guerre secrète, il nous montre comment le SOE et le SD se sont livrés à ce
jeu dangereux qu'il appelle "le jeu de la radio". Constitué de faux
semblants et de tromperies, et rendant ruse pour ruse, il consistait à
emprunter un des canaux de communication de l'ennemi afin d'y injecter des
informations fausses et déroutantes. Retour sur un épisode peu connu de la
seconde guerre mondiale.
Dès 1940, les britanniques créèrent
le SOE
(Special Opérations Executive) afin
de soutenir les mouvements de résistance dans les pays occupés par l'Allemagne.
Bien plus que des logisticiens, les hommes et femmes composant ce service avaient pour
mission de coordonner et d'orienter les efforts de résistance afin de
contribuer à la réalisation des plans de guerre britanniques. Aussi, de
nombreux agents furent parachutés en zone occupée, avec dans leurs sacs un
poste émetteur, des codes d'identification et autres plans et contacts.
On imagine alors sans peine la
valeur informationnelle de ces agents pour le SD (Sicherheitsdienst), le service de
renseignement et de contre-espionnage SS. Mais l'intérêt ne s'arrêtait pas là
pour le SD, car en leur arrachant leur code d'identification, ces agents
capturés offraient la possibilité de diffuser des nouvelles informations à
l'ennemi, fausses cette fois. Ils appelèrent ce "jeu de la radio" le funkspiel.
Les britanniques comprirent vite
la supercherie et envoyèrent leurs agents avec un code factice et un code
authentique. Si un agent était capturé, en transmettant son code factice à
l'opérateur de l'autre côté de la manche, il pouvait ainsi alerter de son
contrôle par l'ennemi. Cette ruse ne dura pas longtemps et les services
allemands eurent vite la volonté de soustraire aussi bien les codes authentiques
que factices aux agents capturés, par des moyens coercitifs. Le raffinement
alla alors plus loin. Chaque agent avait une façon particulière et familière de
communiquer avec son opérateur. Chaque modification notable dans sa manière de
communiquer pouvait alors révéler son contrôle par l'ennemi.
Si les services anglais
apprenaient qu'un agent était tombé sous le contrôle du SD, ils n'en rompaient pas
pour autant le contact radio. En effet, sachant que c'était finalement l'ennemi
de l'autre côté de la ligne, cela constituait une nouvelle opportunité de
transmettre de fausses informations. Afin de ne laisser aucun soupçon de la
supercherie, il était alors nécessaire d'entretenir un trafic radio tout aussi
constant et maintenir toutes les apparences de l'habitude. Tout en répondant
aux questions et en donnant leurs instructions, il leur fallait aussi continuer
à envoyer du matériel, des armes et des fonds en zone occupée.
Plus grave, un agent pouvait
planifier parfois la réception d'autres agents. Les britanniques pouvaient-ils
prendre le risque d'envoyer de nouveaux agents afin de maintenir la crédibilité
du trafic radio, sous peine que ce "jeu" de la désinformation s'arrête
? Outre les quantités d'armes et de matériel parachutées directement aux allemands,
il n'est pas exclu que les britanniques aient envoyé plusieurs agents se faire directement
réceptionnés par le SD, dans le but de maintenir leur plan gigantesque
d'intoxication, le projet Fortitude, dont je parle ici. Nous laisserons le
lecteur seul juge de la pertinence de ce plan.
Les britanniques ne nièrent pas avoir eu connaissance du funkspiel
allemand et y avoir répondu eux-mêmes par leur propre jeu radio. Ils ne nièrent
pas non plus le parachutage de matériel et d'armes dans le but de soutenir ce
jeu. Toutefois, cela répondait à l'impératif stratégique de préparation du Jour
J. En concentrant l'envoi du matériel sur un zone bien précise, en l'occurrence
la zone Fortitude entre la Seine et l'Escaut, les britanniques fixaient
l'attention des allemands sur le Pas-de-Calais. Cela permettait alors de
détourner l'attention de la vraie zone de débarquement, entre la Seine et la
Loire, où le SOE reconstituait ses réseaux de résistance pour le Jour J.
Aussi, la Seconde Guerre Mondiale
recèle d'épisode venant jeter les bases de la cyberguerre actuelle. Nous
l'avions vu ici,
les Alliés ont excellé en matière de guerre électronique afin de dégrader l'acquisition d'information nécessaire à la
reconnaissance du champ de bataille pour l'ennemi. Cependant, comme je l'exposais
dans l'article Cyberattaques : une affaire de geeks ou de stratèges ?, la cyberguerre ne doit pas être uniquement
considérée comme une logique d'affrontement visant à couper ou perturber les
canaux d'acquisition et de transmission de l'information de l'adversaire. Elle
vise aussi à dégrader les informations elles-mêmes dans le but de tromper l'adversaire
sans que celui-ci ne puisse s'en apercevoir, dans une vraie logique de guerre de l'information.
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