mardi 25 septembre 2012

Un peu d'Histoire : La Seconde Guerre Mondiale, les prémices de la cyberguerre ? (2ème partie)

Le jeu de la radio


Dans un précédent article, la première guerre électronique, je relatais comment Anthony Cave Brown dévoilait les plans des Alliés afin de tromper les radars de l'Axe. Toujours dans le Tome II de son ouvrage La guerre secrète, il nous montre comment le SOE et le SD se sont livrés à ce jeu dangereux qu'il appelle "le jeu de la radio". Constitué de faux semblants et de tromperies, et rendant ruse pour ruse, il consistait à emprunter un des canaux de communication de l'ennemi afin d'y injecter des informations fausses et déroutantes. Retour sur un épisode peu connu de la seconde guerre mondiale.


 Dès 1940, les britanniques créèrent le SOE (Special Opérations Executive) afin de soutenir les mouvements de résistance dans les pays occupés par l'Allemagne. Bien plus que des logisticiens, les hommes et femmes composant ce service avaient pour mission de coordonner et d'orienter les efforts de résistance afin de contribuer à la réalisation des plans de guerre britanniques. Aussi, de nombreux agents furent parachutés en zone occupée, avec dans leurs sacs un poste émetteur, des codes d'identification et autres plans et contacts.

On imagine alors sans peine la valeur informationnelle de ces agents pour le SD (Sicherheitsdienst), le service de renseignement et de contre-espionnage SS. Mais l'intérêt ne s'arrêtait pas là pour le SD, car en leur arrachant leur code d'identification, ces agents capturés offraient la possibilité de diffuser des nouvelles informations à l'ennemi, fausses cette fois. Ils appelèrent ce "jeu de la radio" le funkspiel.

Les britanniques comprirent vite la supercherie et envoyèrent leurs agents avec un code factice et un code authentique. Si un agent était capturé, en transmettant son code factice à l'opérateur de l'autre côté de la manche, il pouvait ainsi alerter de son contrôle par l'ennemi. Cette ruse ne dura pas longtemps et les services allemands eurent vite la volonté de soustraire aussi bien les codes authentiques que factices aux agents capturés, par des moyens coercitifs. Le raffinement alla alors plus loin. Chaque agent avait une façon particulière et familière de communiquer avec son opérateur. Chaque modification notable dans sa manière de communiquer pouvait alors révéler son contrôle par l'ennemi.

Si les services anglais apprenaient qu'un agent était tombé sous le contrôle du SD, ils n'en rompaient pas pour autant le contact radio. En effet, sachant que c'était finalement l'ennemi de l'autre côté de la ligne, cela constituait une nouvelle opportunité de transmettre de fausses informations. Afin de ne laisser aucun soupçon de la supercherie, il était alors nécessaire d'entretenir un trafic radio tout aussi constant et maintenir toutes les apparences de l'habitude. Tout en répondant aux questions et en donnant leurs instructions, il leur fallait aussi continuer à envoyer du matériel, des armes et des fonds en zone occupée.

Plus grave, un agent pouvait planifier parfois la réception d'autres agents. Les britanniques pouvaient-ils prendre le risque d'envoyer de nouveaux agents afin de maintenir la crédibilité du trafic radio, sous peine que ce "jeu" de la désinformation s'arrête ? Outre les quantités d'armes et de matériel parachutées directement aux allemands, il n'est pas exclu que les britanniques aient envoyé plusieurs agents se faire directement réceptionnés par le SD, dans le but de maintenir leur plan gigantesque d'intoxication, le projet Fortitude, dont je parle ici. Nous laisserons le lecteur seul juge de la pertinence de ce plan.

Les britanniques ne nièrent pas avoir eu connaissance du funkspiel allemand et y avoir répondu eux-mêmes par leur propre jeu radio. Ils ne nièrent pas non plus le parachutage de matériel et d'armes dans le but de soutenir ce jeu. Toutefois, cela répondait à l'impératif stratégique de préparation du Jour J. En concentrant l'envoi du matériel sur un zone bien précise, en l'occurrence la zone Fortitude entre la Seine et l'Escaut, les britanniques fixaient l'attention des allemands sur le Pas-de-Calais. Cela permettait alors de détourner l'attention de la vraie zone de débarquement, entre la Seine et la Loire, où le SOE reconstituait ses réseaux de résistance pour le Jour J.

Aussi, la Seconde Guerre Mondiale recèle d'épisode venant jeter les bases de la cyberguerre actuelle. Nous l'avions vu ici, les Alliés ont excellé en matière de guerre électronique afin de dégrader l'acquisition d'information nécessaire à la reconnaissance du champ de bataille pour l'ennemi. Cependant, comme je l'exposais dans l'article Cyberattaques : une affaire de geeks ou de stratèges ?, la cyberguerre ne doit pas être uniquement considérée comme une logique d'affrontement visant à couper ou perturber les canaux d'acquisition et de transmission de l'information de l'adversaire. Elle vise aussi à dégrader les informations elles-mêmes dans le but de tromper l'adversaire sans que celui-ci ne puisse s'en apercevoir, dans une vraie logique de guerre de l'information.

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