L’introduction en bourse de Facebook représente la plus importante
opération de ce type pour une entreprise développée dans la Silicon Valley. La
valorisation de l’entreprise, entre 75 et 100 milliards de dollars, a, par
ailleurs, suscité l’étonnement et l’interrogation quant à la valorisation de
Facebook. Est-elle justifiée ou bien n’est-elle que la face émergée d’un
iceberg qui pourrait représenter la prochaine bulle spéculative ? Il est
alors intéressant de se pencher sur les ressorts d’une telle valorisation
Le premier élément à considérer
est le modèle en lui-même. Le succès de Facebook n’est pas à remettre en cause.
Quel que soit le nombre d’utilisateurs ou de comptes que l’on peut attribuer ici
ou là au social network, il en est
une vérité : Facebook s’est imposé dans notre univers. Mais lorsqu’il faut
se pencher sur le service en lui-même, une question demeure : Qu’est-ce
qui fait que Facebook puisse être aussi rentable à l’avenir ?
Beaucoup répondent, en premier
lieu, par la publicité. Très certainement, mais pourtant, comme l’annonce le Wall
Street Journal, le chiffre d’affaires de 3,71 milliards de dollars de
Facebook est déjà dépendant à 85 % de la publicité. On peut imaginer des
nouveautés venant relayer l’émergence des annonces personnalisées, comme un
module de recherche d’emplois, de petites annonces ou encore un site de
rencontre. Cependant, il n’y a là rien qui puisse justifier une telle
valorisation. Alors, où se trouve la valeur de Facebook ?
Comme le rappelle Xavier de la
Porte, Quand
vous ne voyez pas le service, c’est que vous êtes le produit!. La valeur de
Facebook réside en chacun de utilisateurs et, plus spécifiquement, dans les
informations que l’on peut extraire du comportement et des informations de ces
derniers insérées dans la plateforme (photos, coordonnées, âge, cursus, …). Ces
informations deviennent la propriété pleine et entière de Facebook comme l’indiquent
les conditions générales
d’utilisation. Le social network pourra
donc légalement les commercialiser auprès des marketeurs et des publicitaires.
Cependant, afin que ces informations soient monétisables, il faudra développer
l’expérience Facebook vers du contenu orienté consommation. On peut donc s’attendre
à nous voir partager nos goûts avec ou pour telle ou telle marque.
Cette évolution a d’ailleurs déjà
commencé. Comme l’explique Serge
Soudoplatoff, Facebook se différencie des autres réseaux sociaux par la
richesse de la qualification des liens entres les utilisateurs, d’une part, et
par les applications qui leur sont liées, d’autre part. Mais la force de
Facebook est aujourd’hui de pouvoir déborder sur d’autres plateformes, avec
notamment la plus intrusive des fonctionnalités qui est Facebook
Connect. Si l’internaute y gagne en simplicité et en temps, Facebook également, d’une part, avec l’acquisition de nouvelles données sur l’utilisateur, mais
aussi, d’autre part, avec sa capacité à devenir incontournable. A ce titre, Yahoo
a, par exemple, donné la possibilité à ses utilisateurs de consulter leur profil Yahoo via Facebook Connect.
Finalement, Facebook, en tête des
autres réseaux sociaux et opérateurs de l’Internet, se veut le fournisseur d’un
identifiant unique, l’OpenID, favorisé, notamment, par Facebook Connect. Cet
identifiant unique n’est pas innocent. Il pourra à l’avenir permettre d’apposer
une vraie signature pour certifier un contrat lors d’échanges commerciaux électroniques.
Autre élément, alors créée à
l’origine pour répondre à la demande de biens virtuels, Facebook a développé
sa propre monnaie, Facebook Credits.
Acquise à partir de devises réelles, elle ne permet aujourd’hui que d’acheter
des applications ou des jeux sur la plateforme. Si Facebook suit la même
logique, à l’instar de Facebook Connect, cette devise virtuelle pourrait
investir bientôt d’autres plateformes pour devenir une devise commune. Facebook
pourrait donc devenir le prochain système de paiement en ligne.
Si nous récapitulons, Facebook
peut se voir évoluer vers une plateforme unique et omniprésente de collecte de
données personnelles et comportementales de chacun de ses utilisateurs,
permettant l’authentification (et donc l’identification) de ses derniers auprès
d’autres services et fournissant un moyen de paiement en ligne. Ainsi, le
réseau social en lui-même, normalement son cœur de métier, ne sera à l’avenir
qu’une petite partie de son modèle économique. Facebook peut ainsi devenir un
acteur majeur non plus seulement des réseaux sociaux, mais de l’Internet dans
son intégralité.
Outre celle de la puissance d’un
tel acteur à cette échelle d’intégration sur le Net, La question épineuse est
celle des participations et des actionnaires. Il circule certaines théories du
complot, comme explicité ici. Cette conspiration prend racine dans la prise de
participation du fond Accel Partner à la création de Facebook en 2004. Or, le
dirigeant de ce fonds, James W. Breyer, a été l’un des membres du comité
exécutif de la National Ventures Capital Association, au côté de Gilman Louie,
le fondateur d’In-Q-Tel, le fonds d’investissement de la CIA. James Brayer était
aussi présent au conseil d’administration de Beranak and Newman Technologies, développeur
de l’ARPANET (l’origine du système Internet), en association avec la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA). Il
y a fréquenté Anita Jones, faisant partie aussi d’In-Q-Tel et ayant travaillé
pour le compte du département américain de la défense.
Ainsi, à travers James Breyer et
Accel Partner, on trouve des connections entre Facebook, la CIA et le Ministère
de la Défense Américain. Notamment via le programme IAO, Information Awareness
Office, on associe naturellement les problématiques de sécurité nationale
américaine aux capacités de Facebook d’accumuler des informations personnelles
pour faire émerger le fantasme de Big Brother. La société peut en effet être
utile pour la modélisation des réseaux (notamment via la reconnaissance
faciale) dans le but de lutter contre le terrorisme.
Mais, il faut aussi considérer que l’IAO
a été abandonné en 2003, sous les pressions de la société publique, et cette
contestation d’ingérence de l’Etat dans la vie privée n’est pas prête de
s’essouffler. De plus, ces connections sont trop minces pour être utilisées
comme la démonstration d’une prise de contrôle de l’Etat américain dans
Facebook. Cette conspiration, visant à prendre le contrôle de Facebook pour en
faire un gigantesque système de fichage, repose finalement sur peu d’éléments.
Mais considérer que ces connections sont innocentes n’est pas non plus
forcément pertinent.
A l’instar de l’investissement
d’In-Q-Tel dans Gemplus, l’entreprise créatrice du système des cartes à puce
devenu aujourd’hui central dans notre système économique, il n’est pas étonnant
de voir ces connections étant donné le potentiel de Facebook. Comme décrit plus
haut, cette société peut être appelée à devenir un opérateur central et
stratégique de l’Internet dans les processus d’authentification et de paiement
en ligne. Or, les Etats-Unis ont cette culture de la possession stratégique, comme ils le font avec le système DNS. Si
ce n’est pas pour contrôler activement ce système, c’est au moins pour éviter
que d’autres acteurs puissent en prendre le contrôle à l’avenir et porter
préjudice au système d’information et économique américain.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire