jeudi 7 mars 2013

Celui qui saura raconter la meilleure histoire gagnera la prochaine guerre




Le site Infoguerre vient de publier une étude sur les impacts de la société de l’Information sur les rapports de force économiques. Rédigée par cinq étudiants de l’Ecole de Guerre Economique, et téléchargeable dans son intégralité sur le site, celle-ci revient sur le concept de Guerre de l’Information et ses deux axes stratégiques, la guerre par le contenu et la guerre par le contenant.

Morceaux choisis pour une plongée au cœur des ressorts stratégiques et tactiques de ces affrontements quotidiens.

« Celui qui gagnera la prochaine guerre n’est pas celui qui aura la plus grosse bombe, mais celui qui racontera la meilleure histoire. »

David Ronfeldt.

Bien documentée, c’est par cette citation que débute cette étude pour ensuite aborder une description du contexte actuel. Avec la dématérialisation du stockage des informations toujours croissante, c’est une société de l’information qui touche chacun de nous. Ce degré d’immédiateté et de rapidité de transmission, encore inédit dans l’Histoire, a naturellement changé et complexifié le rapport de l’individu par rapport à l’information. Elle est aussi devenue le lieu de luttes et d’enjeux d’influence et de pouvoir. Comme l’écrivent si bien les auteurs de cette étude : « Elle a également fait émerger de nouvelles armes où la force n’est plus le maître mot. Dans un monde où l’heure est à la conquête de marché, l’information a une valeur stratégique quelque soit le rapport de force. Aujourd’hui, la société de l’information a modifié la notion de conflictualité. Là où la puissance d’un acteur était mesurée par sa capacité à soumettre l’autre par la force physique, les nouveaux vecteurs induits par cette transformation sociétaire vont être, entre autres, la capacité à maîtriser l’information à la fois produite, protégée et diffusée. Les rapports de forces traditionnels s’en retrouvent bouleversés par ces tactiques de guérilla ou d’escarmouche informationnelle. »

La Guerre de l’Information fait intervenir deux axes stratégiques majeurs, la guerre par le contenant et la guerre par le contenu. Alors que désormais l’essentiel de nos activités repose sur des infrastructures informatiques, la guerre par le contenant vise justement l’atteinte des capacités matérielles de l’ennemi. Elle consiste à détériorer les tuyaux transportant cette information devenu liquide vital à nos modèles économiques.

Cette étude apporte une différenciation entre deux tactiques selon ce qui est appelé la « couche technique » d’exécution. Des attaques sur une couche physique, ou matérielle (hardware), il faut distinguer les attaques sur une couche logicielle (software). Les attaques sur couche matérielle sont moins fréquentes car elles nécessitent un point d’accès physique aux infrastructures, contrairement aux attaques sur couche logicielle qui s’effectuent à distance. Ces dernières peuvent être de plusieurs types, de l’attaque en déni de service (DDoS) jusqu’aux vers, virus, …

Le point très intéressant que soulèvent les auteurs de cette étude est la croissante complexification des attaques. Attaquants comme défenseurs sont trouvent constamment dans l’obligation de s’adapter aux mouvements et initiatives de l’autres. On observe dés lors une constante évolution du rapport de force.

Or, les différentes attaques montrent aussi qu’aujourd’hui, la cyberguerre et l’hacktivisme ne sont plus que des rapports du faible au fort mais de plus en plus souvent de fort à fort. Aussi, les ressorts de ces affrontements ne résident plus forcément dans l’asymétrie des forces en présence, mais dans le timing. Il n’y a pas de déclaration de guerre ni de préavis dans le domaine de la cyberguerre. La cyberguerre ne se déclare pas. La surprise en est devenue un élément fondamental.

Le cyberespace est souvent considéré comme l’ensemble des interconnections constituant un espace de communication. Ce cyberespace est aujourd’hui mondialisé. Pourtant, comme rappelé dans cette étude, le cyberespace reste certainement qualifié comme un enchevêtrement de tuyaux, mais il est nécessaire de ne pas négliger aussi ce qui y circule, l’information, et comment il est possible de l’altérer. C’est la guerre du contenu.

Cette étude aborde ce point par ce qui a été définit dans de précédents articles par le Guerre de l’Information.

La Société de l’Information a changé les rapports de force par la rapidité de transmission des messages à un ensemble bien plus large de récepteurs potentiels, et cela pour un coût bien moindre qu’auparavant. Elle a alors rendu possible l’intervention de petits ou gros acteurs issus de la société civile, par opposition aux acteurs issus des milieux politiques ou économiques. Aussi, chaque acteur présent sur la scène médiatique n’a plus totalement la maîtrise de son image, celle-ci pouvant être dénaturée, dégradée ou même détruite par l’émission de messages négatifs conjuguée à l’utilisation de plusieurs vecteurs de communication (mass-médias ou réseaux-sociaux). La polémique est devenue une arme de guerre informationnelle.

Notre Société de l’Information est en elle-même centrée sur l’immédiateté et sur l’émotion. Toute accusation ou interpellation suppose naturellement une réponse de l’acteur visé, imposée par le grand public par le biais des médias. Au sein de cette sphère informationnelle, les rapports de force n’appartiennent ni aux forts, ni aux faibles. L’avantage réside dans l’attaque, celle-ci enfermant de fait l’attaqué dans une posture justificative, ce qui empêche toute réflexion nécessaire à une contre attaque. Comme décrit dans cette étude : « La force n’est pas liée à la notoriété de l’acteur mais à sa capacité à manœuvrer l’information ».

Aussi, qu’arrive-t-il lorsque ces deux types d’attaques sont combinés ? Cette question avait déjà été abordée dans de précédent article, notamment ici. S’il est évident que l’on doit appréhender la cyberguerre comme un ensemble de moyens pour altérer les modes de communication d’un message, il est aussi nécessaire de s’interroger sur les capacités et les conséquences d’altération et de modification d’un message sans en modifier sa transmission et sa réception par le destinataire. En d’autres termes, la cyberguerre peut-elle être aussi un ensemble de moyens non plus seulement pour aveugler l’adversaire, mais pour le tromper (désinformation, intoxication, manipulation, deception) ?

Alors que la guerre par le contenant est par définition directe, la guerre par le contenu est, par essence, indirecte car elle nécessite l’emploi de caisses de résonnance pour toucher la cible. La combinaison des deux complexifie alors grandement l’attaque tout en démultipliant ses effets. Cette étude prend l’exemple caractéristique d’un groupe français victime du piratage de ses boites mails professionnelles dont les adresses de ses dirigeants ont été associées à des sites pédophiles. L’implication à postériori de la Police et des médias a amené l’entreprise à licencier les dirigeants incriminés, malgré leur innocence.

Aussi, la guerre par le contenant peut finalement devenir le point d’entrée à la guerre par le contenu. La première peut aussi servir de subterfuge pour masquer la seconde.

Les attaques par le contenant demeurent les plus appréhendables pour le grand public comme pour les acteurs politiques ou économiques. Les effets en sont bien plus visibles que le second type d’attaque, il est donc naturel de voir les entreprises comme les acteurs institutionnels le prendre en compte et investir pour s’en prémunir. Toutefois, les attaques par le contenu est beaucoup moins visible. La démultiplication exponentielle des messages qui nous sont adressés brouille notre perception de leur légitimité et de leur dangerosité, amenant une réelle difficulté pour chacun à détecter les attaques informationnelles et donc de s’en prémunir.

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